Frantz METZGER – Acte 4
catalogue – Vidéo de l’accrochage – œuvres exposées du 19/01/2017 au 11/03/2017
« Souffle sur lequel les signes jamais ne conservent prise » (André du Bouchet)
Les peintures de Frantz Metzger posent quelques questions simples et fondamentales : comment une figure se détache-t-elle d’un fond ? Comment tient une figure dans un espace donné ? Comment, avec quelles couleurs, dans quelles oppositions ou proximités de tonalités, par quels mouvements du pinceau, dans quelles limites entre figuration et abstraction, peut-on lui donner naissance, consistance, existence, même brève et évasive ?
De tableau en tableau, nous percevons les difficultés auxquelles l’artiste se confronte pour y répondre, les forces contraires, de vie et de mort, qui luttent à la surface de ses compositions. Forces qui, paradoxalement, sont peut-être les mêmes… Apparaître et s’évanouir, se profiler et se dissiper, trouver consistance et se déliter, semblent chez Frantz Metzger dans une grande proximité ambivalente, si ce n’est déterminé par un même mouvement essentiel, une grande force cyclique.
Cette question picturale des rapports ambigus entre la figure et le fond, ou entre l’objet et ses entours, a déjà été soulevée, par exemple, dans les œuvres d’Henri Matisse, de Pierre Bonnard, de Paul Cézanne et de beaucoup d’autres. Avec Frantz Metzger, elle trouve une réponse plastique singulière que nous sommes tenté de désigner comme : un souffle pictural. Les figures (humaines généralement) et les paysages semblent, chez lui, littéralement traversés d’un souffle qui distord leurs formes, convulse les chairs, soulève et pulvérise la terre et la végétation pour les mêler aux ciels… Extraordinaire mouvement de tous les éléments qui « dessinent » alors un grand cycle d’air entre chair humaine, humus et atmosphère. « Elle est retrouvée./ Quoi ? L’éternité./ C’est la mer allée / Avec le soleil » écrivait, dans un sens proche, Arthur Rimbaud.
Lors de notre première découverte des peintures de Frantz Metzger, nous avions d’abord interprété, trop hâtivement, ce souffle en tant que violence faite à la figuration, voire en tant que figuration de la violence (humaine et naturelle). Comme si les personnages de Frantz Metzger luttaient contre un vent fou et contraire qui venait déchirer et décomposer leurs traits et leurs contours.
Mais, s’il y a en effet de la violence et beaucoup de tension au sein des œuvres de Frantz Metzger, ce souffle n’est pas fondamentalement d’opposition, mais il est, plutôt, l’étoffe même de l’image, son tissu, son milieu dynamique d’apparition-disparition. Non pas une violence seconde, mais une puissance première. La toile du tableau n’est plus ici une surface de projection, mais un espace-temps atmosphérique de consistance vaporeuse, le lieu de respiration des images.
Nous nous rapprochons ici de ce que le psychanalyste Pierre Fédida désignait dans Le site de l’étranger comme « le souffle indistinct de l’image ». Souffle archaïque et indistinct qui fait se lever, se relier et s’effacer les formes, les figures ; souffle qui, aussi, charrie avec lui des survivances d’images anciennes aux traits disparus et ne subsistant qu’à travers une émanation spectrale, une haleine de ruines, un flux… Ce serait de ce souffle indistinct d’où naîtraient les images (celles du rêve et celles de l’art), ce serait ce même souffle qui les défigurerait, les troublerait, les déliterait, les métamorphoserait. Source et destin.
Regardons, par exemple, le tableau intitulé « Cycle » avec son personnage anonyme en costume sombre qui semble évoluer avec tant de difficulté, marchant presque à quatre pattes, s’arrachant laborieusement du sol pour disparaître peu à peu parmi les nuées à l’horizon. Frantz Metzger condense dans cette œuvre sa vision cyclique des images, des figures et des êtres. Dans leur effort d’exister, dans leur effort d’apparaître, la vie et l’image d’un être humain sont réintégrées par l’artiste parmi un cycle, la spirale d’un souffle : passage éphémère d’une figure de la terre au ciel, et retour… Le peintre parvient dans ce Cycle à une représentation contractant l’espace (échange des éléments) et le temps (succession d’étapes). Et trouve des moyens plastiques pour exprimer l’incarnation et le spectral, la vie et son devenir fantomatique, l’individu et sa résonance avec le paysage.
Cette idée de souffle pourrait encore se retrouver dans les Annonciations de Frantz Metzger à travers le souffle des paroles de l’ange, ou dans ses représentations de la dévoration d’Actéon à travers l’haleine meurtrière des chiens qui se jettent sur lui. Actéon qui a voulu voir la déesse Diane sans voile, nue, se voit lui-même revêtu d’un simulacre, d’une image de cerf, d’une métamorphose qui lui est fatale. C’est le regardeur qui fait l’œuvre affirmait Marcel Duchamp. Chez Frantz Metzger, au contraire, l’œuvre défait le regardeur. Le regard est un risque, l’apparition est un cycle, le souffle qui les relie est aussi celui qui les délie.
Jean-Emmanuel Denave
Lyon, décembre 2016
Ci après, un article pleine page du Petit Bulletin du 15/02/2017 avec une interview de l’artiste et une analyse d’une œuvre, signées Jean Emmanuel Denave